CHAPITRE 1: L'ECONOMIE INDUSTRIELLE ET L'ETUDE DES MARCHES BANCAIRES

 

La volonté de moderniser les marchés bancaires dans un contexte d'internationalisation et d'harmonisation européenne, s'est traduite par une évolution des pratiques bancaires. La concurrence dans l'industrie bancaire s'est donc intensifiée et les facteurs économiques deviennent déterminants. Pour étudier cette évolution de la banque et de l'activité bancaire, les développements récents de la théorie de l'économie industrielle peuvent nous fournir de riches éléments d'analyses et de réflexions. En dépassant le modèle classique SCP (Structure-Comportement-Performance), la théorie des marchés contestables a renouvelé les réflexions des économistes concernant les marchés bancaires. Mais, cette théorie demeure incomplète et nécessite de nouvelles voies d'enrichissements.

SECTION 1: LE MODELE SCP: UN MODELE CONTROVERSE

A- Les fondements du modèle SCP

1- La relation SCP

L'idée fondamentale de l'approche SCP(Structure-Comportement-Performance) est que les structures d'une industrie déterminent les comportements et influencent les performances dans cette industrie. Les résultats des entreprises sont donc déterminés par les structures du marché. Structures* Comportements* Performances L'indicateur des structures le plus couramment retenu est celui du degré de concentration de l'offre et de la demande sur le marché. Les comportements sont les comportements des firmes. Dans ce modèle de base, les firmes n'ont pas de comportements stratégiques. Enfin, les performances sont assimilées à un indicateur de rentabilité. Elles concernent à la fois les performances des firmes et les performances globales qui correspondent à une notion d'optimum social. Cette relation est fondamentale parce qu'elle traverse l'économie industrielle depuis sa naissance. Selon la relation de causalité entre ces trois pôles, on débouche sur des positions différentes sur la nécessité ou non d'une politique d'intervention publique. La relation entre structure-comportement-performance est toujours d'actualité et elle constitue un point de débat très important entre les différentes approches sur le plan théorique et empirique.

2 - Les implications de la relation SCP

La relation SCP implique que les comportements et les performances dans une industrie sont déterminés par les structures de cette industrie. Autrement dit, le nombre, la taille et la concentration des offreurs, d'une part, et les conditions d'entrée et la réglementation, de l'autre, déterminent les résultats des firmes. Dans ce modèle, la plupart des industries ont des structures intermédiaires entre la concurrence parfaite et le monopole. Il s'agit donc de savoir dans quelle mesure le niveau des prix et celui des profits demeurent proches de ceux de la concurrence ou, au contraire, s'approchent de ceux du monopole. Le critère de référence étant celui d'une structure productive efficiente. Selon cette approche, si les entreprises parviennent à coordonner leurs activités, elles appliquent alors des prix de monopole et obtiennent des profits de monopole. Or, lorsqu'il y a entente, chaque entreprise a intérêt à ne pas respecter l'accord et donc à abaisser ses prix en ayant pour objectif d'accroître sa part de marché aux détriment des autres. Comme le montre Stigler (1964), plus le nombre d'entreprises augmente, plus il est difficile de repérer les comportements déviants et de les pénaliser. D'autres caractéristiques du marché augmentent également cette difficulté, comme en particulier le taux de croissance du marché, l'innovation, l'existence de fortes relations de clientèle ou encore la différenciation des produits (Dietsch 1992). La notion de barrières à l'entrée est un des concepts fondamentaux d'économie industrielle. Elle constitue un fondement majeur de l'approche SCP. En effet, l'absence des barrières à l'entrée réduit également la capacité des entreprises à maintenir des solutions de monopole du fait de la concurrence potentielle. Si les concurrents potentiels ont la possibilité d'obtenir des marges positives, ils peuvent alors décider d'entrer sur le marché. Dans ce cas, les firmes installées ont le choix entre l'abaissement des prix au niveau qui rend l'entrée non rentable pour les concurrents potentiels ou alors subir la concurrence en maintenant les prix et les marges de monopole. Les firmes installées sur le marché peuvent également instaurer d'autres barrières à l'entrée avec une protection spécifique ou avec une réglementation émanant des pouvoirs publics, instaurants des règles strictes d'accès.

3 -Le modèle SCP et les barrières à l'entrée

J.S Bain est souvent cité parmi les principaux fondateurs de la théorie classique de l'économie industrielle (approche SCP). Ses travaux ont révélé l'importance stratégique des barrières à l'entrée dans la détermination des structures et des performances des marchés. Il s'intéressait à l'étude des conditions d'entrée pouvant être alourdies par la présence d'une multitude de barrières à l'entrée spécifiques à chaque industrie et qui ont trois sources principales : les économies d'échelle, la différenciation des produits et les avantages de coût absolus. Dans ses ouvrages [Bain (1956) et (1968)], la définition des barrières à l'entrée devient plus précise et complète. Il se focalise sur la question du pouvoir de marché ou de monopole. Cette notion de pouvoir de marché exprime la capacité des firmes établies à fixer leurs prix de vente au dessus du seuil des prix d'équilibre dans un marché parfaitement concurrentiel. En introduisant les barrières à l'entrée, Bain montrera que le pouvoir de marché qu'induit la concentration en faveur des grandes firmes, pourrait déboucher sur des profits supra-normaux ou excessifs en cas de conditions d'entrée difficiles. Donc, la présence de fortes barrières à l'entrée dans un marché influence à la fois les comportements des firmes établies, la structure et les performances du marché. Par ailleurs, la théorie des barrières à l'entrée apparaît comme difficilement séparable des relations entre structures et performances du fait de la forte corrélation entre les barrières à l'entrée et la concentration [M.Rainelli (1993)]. La définition de Bain des barrières à l'entrée a été qualifiée de "normative" parce que tout facteur limitant la capacité des firmes installées à fixer leur prix de vente au dessus du niveau concurrentiel (c'est à dire supérieur au coût marginal) est considéré comme une barrière à l'entrée [U.Muldur (1993)]. Mais, à part cette définition "normative" des barrières à l'entrée, on distingue dans l'économie industrielle une seconde définition d'ordre comparatif et qui semble être proposée pour la première fois par G.Stigler (1968). Selon cette approche, les barrières à l'entrée constituent en quelque sorte une situation de rente pour les firmes dominantes sur le marché. Cette définition comparative des barrières à l'entrée sera reprise par les fondateurs de la théorie des marchés contestables[Baumol, Panzar et Willig (1982)]. Entre ces deux approches, normative et comparative, une approche intermédiaire des barrières à l'entrée peut être définie. Il s'agit d'accompagner la définition de Stigler d'une condition supplémentaire, celle de la modification des performances macro-économiques et micro-économiques.

B - Les apports du modèle SCP à l'étude du marché bancaire

Le modèle SCP constitue le modèle de référence de la théorie de l'organisation industrielle. Il a été largement appliqué dans les années 1960 et 1970 à l'industrie bancaire. Les travaux effectués sur la relation entre structure de marché et performances bancaires ont eu recours à ce modèle SCP. Ce modèle permet d'expliquer les effets de la présence de certaines caractéristiques des marchés, comme la concentration de l'offre et les barrières réglementaires, sur l'état de la concurrence dans l'industrie bancaire. La plupart de ces travaux ont conclu à une liaison positive entre la concentration du système bancaire et le taux de profit des institutions financières [voir par exemple A.Heggestad (1977)]. Le modèle SCP a donc été pendant longtemps la base théorique pour l'étude de la concurrence sur le marché bancaire. Selon M.Dietsch (1992), le modèle SCP met l'accent sur deux types de relation qui déterminent la concurrence bancaire : l'effet des conditions d'entrée sur le degré de concentration et l'impact de la concentration sur les marges et sur les prix.

1 - conditions d'entrée et concentration bancaire

Avec la présence de fortes barrières à l'entrée, le pouvoir de marché qu'induit la concentration en faveur des grandes firmes, pourrait déboucher sur des profits excessifs. Dans le cadre de l'étude de l'activité bancaire, les barrières à l'entrée ont diverses origines, dont les économies d'échelle et surtout les barrières réglementaires. Traditionnellement, la plus importante de ces barrières est la nécessité d'atteindre une taille efficiente minimale. Ceci justifie l'importance accordée aux vérifications de l'existence ou non des économies d'échelle dans la banque. Mais, les traveaux réalisés sur l'existence des économies d'échelle et de gamme dans la banque ne permettent pas de tirer des conclusions définitives. La divergence des résultats observée tant aux Etats-Unis qu'en Europe s'explique principalement par la difficulté que pose la définition des "inputs" et des "outputs" dans la banque (cette question sera traitée dans le troisième chapitre). Notons, néanmoins, que dans le cadre de l'approche traditionnelle SCP, il est difficile de séparer la notion de barrières à l'entrée de celle de la concentration.

2 - Concentration et efficacité bancaire

L'effet des structures de marché sur les prix a fait l'objet de nombreuses études appliquées au cas Américain et qui sont fondées théoriquement sur le modèle SCP. Hannan (1991) a mis en lumière les hypothèses implicites et les simplifications utilisées par les études se réclamant de ce modèle dans la banque. L'hypothèse selon laquelle la concentration exerce un impact sur les prix et les marges bancaires n'est pas totalement tranchée. Elle fait toujours l'objet d'un débat entre les économistes. La plupart des études disponibles pour les Etats-Unis concluent à un impact positif de la concentration bancaire sur les taux d'intérêt. Mais rien n'indique qu'elle exerce une influence significative sur les profits des firmes bancaires.

C -Les limites du modèle SCP

Le modèle SCP est donc à l'origine de résultats importants pour comprendre le comportement des banques sur les marchés. Mais, cette approche présente plusieurs faiblesses tant sur le plan théorique que sur ses applications empiriques. En effet, elle se fonde généralement sur une représentation assez simplifiée du fonctionnement de la firme bancaire. En outre, cette approche SCP écarte de l'analyse des aspects très importants des structures des marchés bancaires, ce qui suscite des voies d'enrichissements de l'approche ou encore du sens de la causalité classique entre structure, comportement et performance.

1 - Limites de la relation SCP

Ces limites proviennent du fait que la chaîne de causalité entre SCP est univoque [M.Rainelli (1993)] : elle part des structures de marché pour aboutir à la rentabilité. Or, ceci peut être contesté en considérant que les profits des firmes exerce également une influence sur les structures des marchés. Donc l'éxogenéité des structures est contestée. De même, la négligence des comportements n'est pas satisfaisante. Les firmes peuvent avoir des comportements stratégiques et donc elles peuvent par leur action influencer les structures des marchés.

2 - Industrie multiproduits et rendements croissants Certains auteurs ont contesté la signification accordée dans ce modèle à la notion de pouvoir de marché. Dietsch (1992) considère que les limites fondamentales du modèle SCP traditionnel reposent sur le fait qu'il échoue à rendre compte du fonctionnement d'une industrie composée d'entreprises multiproduits et produisant en situation de rendements d'échelle croissants. Dans ce cas, il aboutit à un résultat contradictoire. En effet, si l'industrie est caractérisée par des rendements d'échelle croissants, le modèle prévoit qu'elle comporte un petit nombre d'entreprises, voire une seule. La structure productive efficiente est en conséquence une structure de monopole. Or, le modèle SCP conclut à l'inefficience et à la non-optimalité sociale d'une industrie monopolisée.

3 - Vers de nouvelles approches pour l'étude des marchés bancaires Puisque les approches traditionnelles ne décrivent qu'imparfaitement le fonctionnement de l'industrie bancaire, l'analyse de la concurrence bancaire peut être fondée sur les notions de coûts irrécupérables et d'économies d'échelle et d'envergure. S'agissant de la notion de pouvoir de marché dans le modèle SCP, les travaux fondés sur ce modèle, mettaient en évidence une liaison positive entre la concentration du système bancaire et le taux de profit. L'explication en termes de rente de monopole a été contestée à la suite de la critique de Demsetz (1973) et de la nécessité d'endogenéiser la structure de marché qui a été soulignée par les tenants de la "nouvelle économie industrielle" [voir T.Chauveau et D.Saidane (1991)]. En s'appuyant sur les résultats de la théorie classique de l'oligopole, l'approche SCP conclut à l'inefficience de l'industrie et à la nécessité de réglementer toute industrie en situation de rendements croissants. Or, ces résultats ont été remis en cause depuis le début des années 1980 par la théorie des marchés contestables [Baumol, Panzar et Willig (1982)] et qui a lancé un véritable défi au SCP. Cette théorie a rappelé que le risque de concentration accrue ne devrait pas être surestimé puisque l'efficience d'un marché ne dépend pas principalement du nombre d'agents mais plutôt du niveau de concurrence potentielle.

SECTION 2 - LA THEORIE DES MARCHES CONTESTABLES: SES IMPLICATIONS ET SES LIMITES POUR L'ETUDE DU MARCHE BANCAIRE

A - Les fondements de la théorie des marchés contestables

L'exposé fondamental de la théorie des marchés contestables a été développé par Baumol, Panzar et Willig [1982]. Cette théorie est apparue dans un contexte de renouveau du libéralisme économique et politique. Elle a eu pour ambition de fournir une nouvelle analyse des structures de marchés. L'idée fondamentale de cette théorie est que la concurrence est gouvernée par les conditions d'entrée et de sortie de l'industrie, non pas par le nombre d'entreprises, comme c'est le cas dans le modèle Structure-Comportement-Performance.

1 - Les hypothèses du modèle

Cette théorie se base sur trois hypothèses fondamentales :

-l'entrée sur un marché est totalement libre et sans limite. Donc absence des barrières à l'entrée.

-l'entrée est absolue: elle peut être réalisée avant que les firmes installées n'aient le temps de réagir.

- l'entrée est parfaitement réversible : ce qui signifie que la sortie du marché est totalement libre et sans coût. Donc l'absence des coûts irrécupérables.

Si ces trois conditions sont vérifiées alors nous sommes en présence d'un marché parfaitement "contestable" ou "disputable". Ceci implique que lorsque les occasions de profit apparaissent, des firmes peuvent entrer instantanément, capter ces opportunités de profit et sortir aussi vite. D'où la notion de stratégie "Hit and Run" ou de "l'entrée fugitive". De plus, dans cette théorie, les entrants potentiels ont accès à la même technologie que les firmes installées.

2 - Les conditions d'équilibre Un marché parfaitement contestable est dit "soutenable" (ou est à l'équilibre) si :

- aucune entrée ni aucune sortie n'est rationnelle. Ceci signifie que les firmes installées ne font pas de pertes et de la même manière les entrants potentiels ne pourraient pas réaliser un taux de profit supérieur au taux de profit normal. Autrement dit, le nombre de firmes sur le marché est stable. Sous ces conditions, on définie la notion de structure naturelle du marché(s): elle correspond au nombre de firmes qui couvrent l'intégralité de la demande(D) au coût moyen minimum;et qui ont donc une taille optimale

(T*): s = D/T*.

- les prix des produits(p) sont égaux aux coûts marginaux de production

(Cm): p = Cm.

Le prix ne peut pas donc être inférieur au coût marginal, sinon un entrant pourrait également faire un profit positif avec une quantité produite plus faible ce qui contraire aux règles de la soutenabilité. De la même manière, le prix ne peut pas être supérieur au coût marginal, sinon les firmes feront des sur-profits.

- efficience de la production dans ce modèle et inexistence de subventions croisées entre produits, sinon cela implique l'existence de barrières à l'entrée.

3 - Résultats de la théorie

Si les entreprises tendent vers ce type de modèle, il n'y a pas besoin de régulation. Donc inutilité des lois anti-trust aux Etats-Unis. Il n'est pas nécessaire que le secteur soit dans une situation concurrentielle pour que le prix soit égal au coût marginal. Même le monopole dans cette théorie peut être extrêmement efficient et le marché peut lui même réguler la concurrence : c'est une régulation automatique et non coûteuse. Il faut donc supprimer les barrières institutionnelles et administratives. Contrairement aux autres approches, la structure ici est endogène. La structure s'explique par les conditions d'entrée. L'entrée détermine les performances, qui indirectement ont une influence sur la structure du marché :

S= F (E,P).

Structure Entrée Performances

B - Marché bancaire et contestabilité

L'application de la théorie des marchés contestables à l'industrie bancaire conduit à étudier les coûts irrécupérables et à s'interroger sur les implications de cette théorie sur l'étude de la concurrence bancaire.

1 - Les coûts irrécupérables dans la banque La notion de coûts irrécupérables est une notion centrale de la théorie des marchés contestables. Les coûts irrécupérables ou coûts irréversibles ("sunk costs") sont les coûts des investissements qui engendrent des gains sur longue période mais qui ne peuvent pas être récupérés à la sortie de l'industrie. Les coûts irrécupérables constituent donc une barrière à la sortie qui joue un rôle déterminant dans la décision des firmes de s'installer ou non dans un secteur. En l'absence de coûts irrécupérables, le fonctionnement des marchés conduit aux résultats de la concurrence parfaite. Dans la banque, les coûts sont plus ou moins irrécupérables selon le type d'actif [Dietsch(1992)].

a - Les actifs physiques

La banque, comme toute entreprise, détient des actifs corporels: immeubles, matériels, mobiliers... L'existence d'un marché d'occasion efficace conduit à admettre que les investissements en actifs physiques dans la banque engendrent des coûts irrécupérables relativement faibles. Par ailleurs, il est fréquemment souligné que la banque est principalement un prestataire de services et par conséquent le montant de ses actifs physiques est moins important que dans les autres industries. Ceci justifie le niveau faible des coûts irrécupérables dans la banque et même parfois leur inexistence pour certains actifs quand le niveau des gains attendus est supérieur à la valeur actuelle des coûts irrécupérables.

b - Les actifs financiers:

On distingue ici l'activité classique de crédits et des dettes bancaires et les activités de marché (les titres) :

- Le marché des crédits bancaires

Le contrat de crédit constitue une solution optimale en cas d'asymétrie d'information dans la relation de crédit entre prêteur et emprunteur. En effet, l'engagement sur une longue période dans la relation avec sa clientèle, offre à la banque un avantage informationnel sur la qualité et la solvabilité des emprunteurs. De cette manière, elle évalue au mieux les risques de crédit. Ce qui lui procure un avantage par rapport aux autres banques. Mais, cet engagement de longue période nécessite des investissements dont la récupérabilité n'est pas certaine. Si une banque décide de vendre ses crédits avant l'échéance, les autres banques n'accepteraient d'acquérir ces titres qu'avec un escompte jugé élevé pour couvrir les risques supplémentaires liés à cette acquisition. Par conséquent, la cession des crédits comporte des coûts irrécupérables.

- Le marché des titres

La valeur des titres négociables sur les marchés financiers dépend des variations de cours. Pour cette raison, le degré de récupération des titres dépend principalement du degré d'efficience de leur marché et de l'évolution des taux d'intérêt. Les variations de cours peuvent conduire à une moins-value en cas de cession de titres. Si on considère que les marchés sont efficients, alors l'irrécupérabilité de la valeur des titres dépend principalement du niveau du risque de taux. Le coût non récupérable du portefeuille de titres de la banque consiste donc dans le coût de la couverture du risque de taux [Dietsch (1992)]. Concernant les titres de participations, les coûts irrécupérables peuvent être importants lorsqu'il s'agit de titres non cotés. Par ailleurs, les titres de participations qui relèvent du marché des fusions et acquisitions plutôt que du marché financier, méritent d'être traités comme des actifs corporels. Il faut également noter que le développement de l'activité des titres implique des investissements coûteux (salle de marché, matériels...) qu'il faudra s'interroger sur leur caractère récupérable. En résumé, les coûts irrécupérables dans la banque se présentent surtout dans l'activité classique d'intermédiation.

Donc la marchéisation croissante de l'activité bancaire la rendrait de plus en plus contestable. Par ailleurs, la présence ou non des coûts irrécupérables est un élément fondamental pour comprendre la dynamique de la concurrence sur les marchés bancaires.

2- Concurrence et stratégies bancaires

La théorie des marchés contestables a également constitué un apport fructueux à l'étude de la concurrence entre banques et aux comportements des banques sur le marché. En effet, cette théorie aboutit à une conclusion contraire à celle de l'approche SCP. Alors que l'approche SCP conclut qu'un oligopole caractérisé par l'existence d'économies d'échelle ne peut se comporter de manière concurrentielle et engendre au contraire des sur-profits, la théorie des marchés contestables établit que si cet oligopole se comporte comme un marché contestable, ses prix seront proches du coût marginal. Donc la contestabilité d'un marché conduit l'industrie à une configuration efficiente. Ce résultat vaut, en particulier, dans le cas de la banque avec une production multi-produits [Dietsch (1991)].

a - Les stratégies bancaires Le niveau des coûts irréversibles détermine en grande partie la nature de la concurrence entre banques.

- La stratégie de "hit and run": La stratégie de "hit and run" ou du "raid" peut exister lorsque un entrant potentiel profite de l'absence de coûts irrécupérables pour pénétrer le marché, capter les opportunités de profits et le quitter dés la réalisation de ses objectifs. Malgré que cette stratégie est rare dans le secteur bancaire, elle peut néanmoins être observée quand certaines banques profitent d'une faille dans la législation fiscale et cessent leur activité dés la modification des textes.

- Les barrières stratégiques: Elles résultent de la transformation des coûts irrécupérables à des fins stratégiques. En effet, les banques installées repèrent les investissements source de coûts irrécupérables et les réalisent.

Chaque banque peut donc sur-investir en créant une surcapacité pour contraindre ses rivales à réduire leurs capacités. De même, cette stratégie permet d'instaurer des difficultés à l'entrée des banques étrangères sur un marché national. D'autres facteurs donnent également aux banques installées des avantages sur leurs concurrents potentiels: ce sont les coûts de changement de banque ("Switching costs"), les effets de réputation ou simplement l'importance des parts de marché [Dietsch(1993)].

C - Limites et prolongements de la théorie

1 - Critiques des hypothèses Les principales critiques adressées à cette théorie consistent à contester l'entrée ultra-libre sur le marché. En effet, l'entrée ultra-libre implique des hypothèses incompatibles entre elles :

- l'entrée ne peut pas être en même temps marginale et forte. Si l'entrée est marginale alors, elle ne représente pas de danger pour les firmes installées. Par contre, si l'entrée est sur une grande échelle, les firmes en place auront le temps de réagir et de lutter contre une entrée massive. Donc, l'entrée ultra-libre est un cas extrême et non pas la règle générale.

- l'entrée ne peut pas être instantanée : Si on prend le cas des marchés financiers, l'entrée grâce à des achats de titres demande du temps, ce qui permet aux firmes installées de réagir et de se défendre en augmentant par exemple les prix des actions. Ceci implique que les entrants supportent un coût irrécupérable (valeur supplémentaire payée) et donc l'existence de barrières à l'entrée et à la sortie.

-L'hypothèse selon laquelle la concurrence potentielle domine les conditions internes du marché est excentrique. En effet, lorsqu'il existe plusieurs firmes sur le marché, les firmes en place ne peuvent pas ignorer leur concurrents effectifs. Elles peuvent donc avoir des comportements stratégiques pour préserver ou augmenter leurs parts de marché. Voire même conclure des ententes entre elles.

2 - Limites de la théorie concernant l'étude du marché bancaire: L'étude des coûts irrécupérables dans la banque a montré que seules les activités de marché peuvent être caractérisées par la faiblesse ou l'absence de ces coûts. Donc, le modèle des marché contestables ne s'applique qu'à ces activités. Certains auteurs, considèrent aussi qu'une structure de marché contestable n'est pas nécessairement une structure efficiente et l'absence des coûts non récupérables n'interdit pas les comportements stratégiques dans le marché bancaire. En effet, pour que la structure d'un marché soutenable soit également une structure efficiente, il faut que deux conditions soient réunies:

- la demande doit être parfaitement élastique;

- les firmes installées ne doivent pas réagir immédiatement à la baisse des prix pratiquée par les nouveaux concurrents.

Mais, ces conditions sont très restrictives dans le cas de la banque; parce que les ajustements par les prix sont généralement plus rapides que les ajustements par les quantités [Dietsch(1992)]. Par ailleurs, même en l'absence de coûts irrécupérables, les firmes installées peuvent utiliser les prix ou les quantités à des fins stratégiques pour gagner des parts de marché ou pour lutter contre la concurrence potentielle.

3 - Enrichissements de la théorie:

La limite fondamentale de la théorie des marchés contestables est donc l'absence de réactions des firmes installées à l'entrée de nouveaux concurrents. Ce qui exclut les comportements concurrentiels.

Pour élargir et enrichir cette théorie, les nouvelles approches d'analyses prennent en compte les intéractions stratégiques entre firmes. La théorie des jeux; dans le cadre de la "Nouvelle Economie Industrielle", constitue à cet égard un nouveau mode d'analyse des marchés.

Pour la banque, l'introduction des éléments de la théorie des jeux, constitue un apport très utile pour une meilleure compréhension du fonctionnement de l'industrie bancaire. Par ailleurs, l'utilisation des concepts empruntés à l'économie industrielle ainsi que la prise en compte des comportements stratégiques de la part des banques ont permis d'importantes avancées dans la compréhension de certains phénomènes comme celui de l'innovation financière. En résumé, les théories récentes de l'économie industrielle s'avèrent très utiles pour la compréhension de l'activité bancaire. L'approche SCP a joué un rôle fondamental dans l'analyse de certains aspects des marchés bancaires. Elle a également apporté les fondements de l'intervention publique dans les activités industrielles et la nécessité d'une régulation des conditions de concurrence. Mais, cette approche a rapidement été affaiblie par ses limites théoriques et empiriques.

Très vite, la théorie des marchés contestables de Baumol, Panzar et Willig, a lancé un véritable défi contre l'approche SCP. En effet, la théorie des marchés contestables considère que les mécanismes du marché conduisent à une régulation automatique de la concurrence. Ce qui limite donc l'intervention publique. Mais, cette théorie reste incomplète et demeure controversée du fait qu'elle réduit le rôle des comportements stratégiques des firmes en général, et des banques en particulier. Or, les mutations récentes des systèmes bancaires et financiers ont modifié les règles du jeu. La banque a donc évolué afin de devenir une firme concurrentielle à part entière. De ce fait, les nouveaux développements relevant de l'économie industrielle appliquée à la banque introduisent dans leurs analyses cette nouvelle dynamique concurrentielle pour tenter ainsi d'aboutir à une meilleure compréhension de la firme bancaire.

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